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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

qu’il dit, mais avec un certain embarras dans les termes, qui annonce quelque chose de rebelle dans cet esprit, malgré la culture qu’il a dû lui donner et l’exercice du métier de parler, qui a été celui de toute sa vie. Je me rappelle que Vieillard, dans toute sa candeur, me disait en parlant de lui, et par opposition à ses autres collègues fougueux ou intolérants républicains : « Quel homme charmant ! que de douceur ! » Je me rappelle qu’il me déplut tout de suite, quand je le vis autrefois chez le bon M. N…, qui n’y regardait pas de si près : une certaine façon de vous écouter sans rien dire, ou de vous répondre avec réticences, me donna de lui l’idée dans laquelle je me suis confirmé les deux ou trois fois que je l’ai rencontré. Je l’ai trouvé d’une grande sensibilité à la mort du pauvre Wilson[1]. Il m’a semblé qu’il versait de véritables larmes sur son ami… Que conclure de tout ceci ? Que je me suis trompé dans mon jugement… ? Point du tout ! Il est, comme tous les hommes, un composé bizarre et inexplicable de contraires ; c’est ce que les faiseurs de romans et de pièces ne veulent pas comprendre. Leurs hommes sont tout d’une pièce. Il n’en est pas de cette sorte… Il y a dix hommes dans un homme, et souvent ils se

    une vive affection, il écrivait : « Heureux qui se contente de la surface des choses. J’admire et j’aime les hommes comme Berryer qui a l’air de ne rien approfondir. » Il faudrait être aveugle pour ne pas démêler la pointe de critique qui se dissimule mal sous cette admiration.

  1. Daniel Wilson, père de M. Daniel Wilson et de Mme Pelouze. Il acheta autrefois à Delacroix son tableau : La Mort de Sardanaple. (Voir Catalogue Robaut, no 198.)