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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

l’exaltation pour Shakespeare, pour les nouveautés, etc.

— Dîné à l’Hôtel de ville. — Didot m’a emmené chez lui et montré des manuscrits intéressants avec vignettes.

Mercredi 30 novembre. — Dîné chez la princesse Marcellini. Duo de basse et de piano de Mozart, dont le commencement rappelle : Du moment qu’on aime. — Duo idem de Beethoven, celui que je connais déjà et qu’ils ont joué.

Quelle vie que la mienne[1] ! Je faisais cette réflexion en entendant cette belle musique, surtout celle de Mozart qui respire le calme d’une époque ordonnée. Je suis dans cette phase de la vie où le tumulte des passions folles ne se mêle pas aux délicieuses émotions que me donnent les belles choses. Je ne sais ce que c’est que paperasses et occupations rebutantes, qui sont celles de presque tous les humains ; au lieu de penser à des affaires, je ne pense qu’à Rubens ou à Mozart : ma grande affaire pendant huit jours, c’est le souvenir d’un air ou d’un tableau. Je me mets au travail comme les autres courent chez leur maîtresse, et quand je les quitte, je rapporte dans ma solitude ou au milieu des distractions, que je vais chercher, un souvenir charmant, qui

  1. Ce passage est à rapprocher du fragment de l’année 1824 : « Quelle sera ma destinée ? Sans fortune et sans disposition propre à rien acquérir. »