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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

J’ai remarqué pour la première fois ceux du Carrache, pour les grisailles du palais Farnèse[1] : l’habileté y domine le sentiment ; le faire, la touche l’entraînent malgré lui ; il en sait trop, et n’étudiant plus, il ne découvre plus rien de nouveau et d’intéressant. Voilà l’écueil du progrès dans les arts, et il est inévitable. Toute cette école est de même. Têtes de Christ et autres, du Guide[2], où, malgré l’expression, la grande habileté de crayon est plus surprenante encore que l’expression. Que dire alors de ces écoles d’aujourd’hui, qui ne s’occupent que de cette mensongère habileté, et qui la recherchent ? Dans les Léonard surtout, la touche ne se voit pas, le sentiment seul arrive à l’esprit. Je me rappelle encore le temps qui n’est pas loin où je me querellais sans cesse de ne pouvoir parvenir à cette dextérité dans l’exécution que les écoles habituent malheureusement les meilleurs esprits à regarder comme le dernier terme de l’art. Cette pente à imiter naïvement et par des moyens simples, a toujours été la mienne, et j’enviais au contraire la facilité de pinceau, la touche coquette des Bonington[3] et autres : je cite un

    dessins du Louvre, nos 340, 343, 347. — Inconnu XVe siècle. Voir le Catalogue des dessins du Louvre, nos 419. — Léonard de Vinci (1452-1519). Voir le Catalogue des dessins du Louvre, nos 383 à 394.

  1. Annibal Carrache (1560-1609). Voir le Catalogue des dessins du Louvre, nos 153, 157, 158, 161, 165, 166, etc.
  2. Guido Reni, dit le Guide (1575-1642). Voir le Catalogue des dessins du Louvre, nos 291, 294, 297.
  3. Pour avoir une idée précise de l’opinion d’Eugène Delacroix sur Bonington, il importe de relire la très belle lettre du peintre à Thoré