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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tateurs aussi froids, aussi hébétés que ces deux personnages capitaux. Ils sont tellement séparés les uns des autres, sans qu’un spectacle si extraordinaire les rapproche ou les groupe, comme pour les voir de plus près, ou pour se communiquer naturellement ce qu’ils en pensent. Il y en a un, le plus rapproché du Christ, dont le geste est ridicule et sans objet. Il paraît embrasser la table d’un seul de ses bras. Son bras paraît plus large que la table tout entière, et cette incorrection, que rien ne motive dans l’endroit le plus apparent du tableau, augmente la bêtise de tout le reste. Comparez à cette sotte représentation du sujet le plus touchant de l’Évangile, le plus fécond en sentiments tendres et élevés, en contrastes pittoresques ressortant des natures différentes mises en contact, de cette belle créature dans la fleur de la jeunesse et de la santé, de ces vieillards et de ces hommes faits, en présence desquels elle ne craint pas d’humilier sa beauté et de confesser ses erreurs, comparez, dis-je, ce qu’a fait de cela le divin Raphaël avec ce qu’en a fait Rubens. Il n’a manqué aucun trait… La scène se passe chez un homme riche : des serviteurs nombreux entourent la table ; le Christ, à la place la plus apparente, a la sérénité convenable. La Madeleine[1], dans l’effusion

  1. La poétique figure de la Madeleine tenta à plusieurs reprises le pinceau de Delacroix ; en 1845, il peignit une Madeleine en prière, au sujet de laquelle Baudelaire écrivait : « Ce tableau démontre une vérité soupçonnée depuis longtemps, c’est que M. Delacroix est plus fort que jamais, et dans une voie sans cesse renaissante, c’est-à-dire qu’il est plus harmoniste que jamais… M. Delacroix est décidément le peintre