Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Je vois ce soir, chez Gihaut, les photographies de la collection Delessert[1], d’après Marc-Antoine[2]. Faut-il absolument admirer éternellement comme parfaites ces images pleines d’incohérences, d’incorrections, qui ne sont pas toutes l’ouvrage du graveur ? Je me rappelle encore la manière désagréable dont j’en ai été affecté, ce printemps, quand je les comparais, à la campagne, à des photographies d’après nature.

J’ai vu le Repas chez Simon, gravure reproduite et très estimée. Rien de plus froid que cette action ! La Madeleine, plantée de profil devant le Christ, lui essuyant à la lettre les pieds avec de grands rubans qui lui pendent de la tête, et que le graveur nous donne pour des cheveux. Rien de l’onction que comporte un tel sujet ! Rien de la fille repentante, de son luxe et de sa beauté mise aux pieds du Christ, qui devrait bien, au moins par son air, lui témoigner quelque reconnaissance, ou du moins qu’il la voit avec indulgence et bonté ; les spec-

  1. M. Delessert était un collectionneur qui possédait entre autres toiles du maître le délicieux tableau des Adieux de Roméo et Juliette, celui que Gautier décrit ainsi : « Roméo et Juliette sur le balcon, dans les froides clartés du matin, se tiennent religieusement embrassés par le milieu du corps. Dans cette étreinte violente de l’adieu, Juliette, les mains posées sur les épaules de son amant, rejette la tête en arrière, comme pour respirer, ou par un mouvement d’orgueil et de passion joyeuse… Les vapeurs violacées du crépuscule enveloppent cette scène. » La Mort de Lara lui appartenait également. (Voir Catalogue Robaut, nos 939 et 1006.)
  2. Marc-Antoine Raimondi (1475-1530), le plus célèbre graveur de la Renaissance italienne.