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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vais mieux et je jouis encore ce jour d’une délicieuse paresse au coin démon feu, comme pour m’indemniser du regret de perdre mon temps. Je suis entouré de mes calepins des années précédentes ; plus ils se rapprochent du moment présent et plus j’y vois devenir rare cette plainte éternelle contre l’ennui et le vide que je ressentais autrefois. Si effectivement l’âge me donne plus de gaieté et de tranquillité d’esprit, ce sera pour le coup une véritable compensation des avantages qu’il m’enlève.

Je lisais dans l’agenda de 1849 que le pauvre Chopin, dans une de ces visites que je lui faisais fréquemment alors, et quand sa maladie était déjà affreuse, me disait que sa souffrance l’empêchait de s’intéresser à rien, et à plus forte raison au travail. Je lui dis à ce sujet que l’âge et les agitations du jour ne tarderaient pas à me refroidir aussi. Il me répondit qu’il m’estimait de force à résister. « Vous jouirez, a-t-il dit, de votre talent dans une sorte de sérénité qui est un privilège rare et qui vaut bien la recherche fiévreuse de la réputation. »

Jeudi 17 novembre. — La bonne Alberthe m’a envoyé une place pour la Cenerentola[1]. J’ai passé une soirée vraiment agréable ; j’étais plein d’idées, et la musique, le spectacle y ont aidé.

J’ai remarqué là combien, dans les étoffes de satin,

  1. Opéra de Rossini.