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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

dans les Nouvelles russes[1] ; j’en ai lu deux : le Fataliste et Dombrowski, qui m’ont fait passer des moments délicieux. À part les détails de mœurs que nous ne connaissons pas, je soupçonne qu’elles manquent d’originalité. On croit lire des nouvelles de Mérimée, et comme elles sont modernes, il n’y a pas difficulté à être persuadé que les auteurs les connaissent. Ce genre un peu bâtard fait éprouver un plaisir étrange, qui n’est pas celui qu’on trouve chez les grands auteurs… Ces histoires ont un parfum de réalité[2] qui étonne ; c’est ce sentiment qui a surpris tout le monde, quand sont apparus les romans de Walter Scott ; mais le goût ne peut les accepter comme des ouvrages accomplis.

Lisez les romans de Voltaire, Don Quichotte, Gil-Blas… Vous ne croyez nullement assister à des événements tout à fait réels, comme serait la relation d’un témoin oculaire… Vous sentez la main de l’artiste et vous devez la sentir, de même que vous voyez un cadre à tout tableau. Dans ces ouvrages, au contraire, après la peinture de certains détails qui surprennent par leur apparente naïveté, comme les noms tout particuliers des personnages, des usages insolites, etc., il faut bien en venir à une

  1. Les Nouvelles russes, de Nicolas Gogol, avaient été en 1845 traduites et publiées par M. L. Viardot.
  2. Il est intéressant de remarquer ici comment Delacroix a su, d’un mot caractéristique, définir et analyser cette littérature russe qui faisait alors une timide apparition et qui allait soulever vingt ans plus tard un si grand mouvement de curiosité.