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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

contrastes ; Shakespeare de même… Mozart n’est point ainsi, ni Racine, ni Virgile, ni l’Arioste. L’esprit ressent une joie continue, et, tout en jouissant du spectacle de la passion de Phèdre ou de Didon, il ne peut s’empêcher de savoir gré de ce travail divin qui a poli l’enveloppe que le poète a donnée à ses touchantes pensées. L’auteur a pris la peine qu’il devait prendre pour écarter du chemin qu’il me fait parcourir ou de la perspective qu’il me montre, tous les obstacles qui m’embarrassent ou qui m’offusquent.

Si des génies tels que les Homère et les Shakespeare offrent des côtés si désagréables, que sera-ce des imitateurs de ce genre abandonné et sans précision ? Le Spectateur les tance avec raison, et rien n’est plus détestable ; c’est de tous les genres d’imitation le plus sot et le plus maladroit. Je n’ai pas dit que c’est surtout comme génies originaux que le Spectateur exalte les Homère et les Shakespeare ; ceci serait l’objet d’un autre examen, dans leur comparaison avec les Mozart et les Arioste, qui ne me paraissent nullement manquer d’originalité, bien que leurs ouvrages soient réguliers.

Rien n’est plus dangereux que ces sortes de confusions pour les jeunes esprits, toujours portés à admirer ce qui est gigantesque plus que ce qui est raisonnable. Une manière boursouflée et incorrecte leur paraît le comble du génie, et rien n’est plus facile que l’imitation d’une semblable manière…