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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tion augmente encore tous ces genres d’impression.

On comprend donc tout ce que j’ai dit de la puissance de la peinture. Si elle n’a qu’un moment, elle concentre l’effet de ce moment ; le peintre est bien plus maître de ce qu’il veut exprimer que le poète ou le musicien livré à des interprètes ; en un mot, si son souvenir ne s’exerce pas sur autant de parties, il produit un effet parfaitement un et qui peut satisfaire complètement ; en outre, l’ouvrage du peintre n’est pas soumis aux mêmes altérations, quant à la manière dont il peut être compris dans des temps différents. La mode qui change, les préjugés du moment, peuvent faire envisager différemment sa valeur ; mais enfin il est toujours le même ; il reste tel que l’artiste a voulu qu’il fut, tandis qu’il n’en est pas de même d’un ouvrage livré à l’interprétation, comme les ouvrages de théâtre. Le sentiment de l’artiste n’étant plus là pour guider les acteurs ou les chanteurs, l’exécution ne peut plus répondre à l’intention primitive : l’accent disparaît, et avec lui la partie la plus délicate. Heureux encore l’auteur, quand on ne mutile pas son ouvrage, affront auquel il est exposé même de son vivant ! Le changement seul d’un acteur change toute la physionomie.

21 octobre. — Les Arago[1], Bixio, etc., dînaient

  1. François Arago venait de mourir le 2 octobre 1853. En mentionnant les Arago, Delacroix vent parler ici de ses deux tils, Emmanuel et Alfred Arago, et de ses deux frères survivants, Jacques et Étienne Arago.