Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

toujours pensé plus important par son air que par ses qualités réelles.

Un certain tact m’a rarement trompé ; j’écrivais ici, il y a quelque temps, sur la quantité des hommes médiocres ; mais que de degrés encore dans la médiocrité ! En voici un de la dernière catégorie ! J’entends parmi ceux qui se piquent d’œuvres d’esprit. Il sert à faire voir la valeur de ceux qui sont des chefs de bande, comme Dumas, par exemple, dont il est tant question depuis quelques jours. Mis en regard de Véron, Dumas paraît un grand homme, et je ne doute pas que ce ne soit son opinion à lui-même ; mais qu’est-ce que Dumas et presque tout ce qui écrit aujourd’hui, en comparaison d’un prodige tel que Voltaire, par exemple ? Que deviennent, à côté de cette merveille de lucidité, d’éclat et de simplicité tout ensemble, ce bavardage désordonné, cet alignement sans fin de phrases et de volumes semés de bonnes et de détestables choses, sans frein, sans loi, sans sobriété, sans ménagement pour le bon sens du lecteur ! Celui-là donc est médiocre dans l’emploi de facultés qui sont pourtant au-dessus de l’ordinaire ; ils se ressemblent tous… La pauvre Aurore[1] elle-même lui donne la main pour des défauts analogues, à côté de qualités de beaucoup de valeur. Ils ne travaillent ni l’un ni l’autre, mais ce n’est pas par paresse. Ils ne peuvent pas travailler, c’est-à-dire élaguer, condenser, résu-

  1. George Sand.