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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

pauvre Jenny[1], dont la santé paraît meilleure et m’enchante… Quel profond bon sens dans cette fille de la nature, et quelle vertu au fond de ses préjugés les plus singuliers !

J’avais refusé le dîner de Mme Villot ; j’ai été la joindre et sa société, comme elle était au dessert, et nous avons achevé la soirée chez Mme Barbier. J’ai ri aux larmes presque tout le temps, aussi bien de ce que je lui disais que de ce qu’elle me répondait. Elle m’a raconté l’aventure de son ami Chevigné, qui vient un de ces jours derniers pour la voir, et qui trouve dans le chemin de fer cet être antipathique qui se trouvait venir aussi chez elle et qu’il voyait par conséquent sans cesse à ses côtés ou devant lui tout le temps, y compris la voiture qui devait les ramener du chemin de fer chez elle.

Le livre de Véron[2] était là sur la table… Une femme qui n’est pas sotte, et qui est là, le trouve ennuyeux ; c’est une façon d’exprimer qu’il lui a déplu, et il déplaira à la moindre personne qui a quelque notion de ce que c’est qu’une chose passable. Nulle philosophie (grand article sur ce mot à propos des arts en général : sans cette philosophie que j’entends, nulle durée pour le livre ou pour le tableau, ou plutôt nulle existence) ; ce tas d’anecdotes, les

  1. On sait que Delacroix laissa par testament à Jenny Le Guillou une somme de cinquante mille francs, en outre de ce qui serait à sa convenance dans son mobilier, et du beau portrait qu’elle-même légua à sa mort au Musée du Louvre.
  2. Mémoires d’un bourgeois de Paris.