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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le secret de n’avoir pas d’ennuis, pour moi du moins, c’est d’avoir des idées. Je ne puis donc trop rechercher les moyens d’en faire naître. Les bons livres ont cet effet, et surtout certains livres parmi ceux-ci. La première condition est bien la santé ; mais même dans un état languissant, certains livres peuvent rouvrir la porte par où s’épanche l’imagination.

Jeudi 18 juillet. — « Dans la peinture et surtout dans le portrait, dit Mme Cavé dans son traité, c’est l’esprit qui parle à l’esprit, et non la science qui parle à la science. » Cette observation, plus profonde qu’elle ne l’a peut-être cru elle-même, est le procès fait à la pédanterie de l’exécution. Je me suis dit cent fois que la peinture, c’est-à-dire la peinture matérielle, n’était que le prétexte, que le pont entre l’esprit du peintre et celui du spectateur. La froide exactitude n’est pas l’art ; l’ingénieux artifice, quand il plaît ou qu’il exprime, est l’art tout entier. La prétendue conscience de la plupart des peintres n’est que la perfection apportée à l’art d’ennuyer. Ces gens-là, s’ils le pouvaient, travailleraient avec le même scrupule l’envers de leurs tableaux… Il serait curieux de faire un traité de toutes les faussetés qui peuvent composer le vrai.

Dimanche 21 juillet. — Fait une promenade très longue, en prenant par la ruelle qui est en face du pont. Monté au plus haut de la montagne et revenu