Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

l’heure que, si l’emploi du modèle donnait au tableau quelque chose de frappant, ce ne pouvait être que chez des hommes très intelligents : en d’autres termes, qu’il n’y avait que ceux qui savent faire de l’effet, en se passant du modèle, qui puissent véritablement en tirer parti, quand ils le consultent.

Que sera-ce d’ailleurs, si le sujet comporte beaucoup de pathétique ? Voyez comme, dans de pareils sujets, Rubens l’emporte sur tous les autres ! Comme la franchise de son exécution, qui est une conséquence de la liberté avec laquelle il imite, ajoute à l’effet qu’il veut produire sur l’esprit !… Voyez cette scène intéressante, qui se passera, si vous voulez, autour du lit d’une femme mourante : rendez, s’il est possible, saisissez par la photographie, cet ensemble ; il sera déparé par mille côtés. C’est que, suivant le degré de votre imagination, la scène vous paraîtra plus ou moins belle ; vous serez poète plus ou moins, dans cette scène où vous êtes acteur ; vous ne voyez que ce qui est intéressant, tandis que l’instrument aura tout mis.

Je fais cette observation et je corrobore toutes celles qui précèdent, c’est-à-dire la nécessité de beaucoup d’intelligence dans l’imagination, en revoyant les croquis faits à Nohant pour la Sainte Anne : le premier, fait d’après nature, est insupportable, quand je revois le second, qui pourtant est presque le calque du précédent, mais dans lequel mes intentions sont

    stituent l’un des morceaux les plus importants sur lesquels nous nous soyons appuyé.