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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

d’idée, dans les arbres particulièrement, dans les draperies, etc.

Rubens est un exemple remarquable de l’abus des détails. Sa peinture, où l’imagination domine, est surabondante partout ; ses accessoires sont trop faits ; son tableau ressemble à une assemblée où tout le monde parle à la fois. Et cependant, si vous comparez cette manière exubérante, je ne dirai pas à la sécheresse et à l’indigence modernes, mais à de très beaux tableaux où la nature a été imitée avec sobriété et plus d’exactitude, vous sentez bien vite que le vrai peintre est celui chez lequel l’imagination parle avant tout.

Jenny me disait hier, avec son grand bon sens, quand nous étions dans la forêt et que je lui vantais la forêt de Diaz, « que l’imitation exacte n’en était que plus froide », et c’est la vérité ! Ce scrupule exclusif de ne montrer que ce qui se montre dans la nature rendra toujours le peintre plus froid que la nature qu’il croit imiter ; d’ailleurs, la nature est loin d’être toujours intéressante au point de vue de l’effet de l’ensemble. Si chaque détail offre une perfection, que j’appellerai inimitable, en revanche la réunion de ces détails présente rarement un effet équivalent à celui qui résulte, dans l’ouvrage du grand artiste, du sentiment de l’ensemble et de la composition[1]. C’est ce qui me faisait dire tout à

  1. Nous avons tenté dans notre Étude de résumer les idées du maître sur ce point intéressant d’esthétique. Ce passage et tout ce qui suit con-