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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Est-ce que tout cela n’est point fait pour faire éprouver quelque sentiment de plaisir, ou bien est-ce que je commence à être moins susceptible ? Je ne sais comment je vais remplir mon temps. Je n’ai pas de gravures, et n’ai de livres que l’Homme de cour et les Extraits de Voltaire… Je trouverai peut-être à en louer.

Dimanche 14. — Aujourd’hui dimanche, je peux dire que je suis rentré en possession de mon esprit. Aussi est-ce le premier jour où j’ai trouvé de l’intérêt à tout ce qui m’environne.

Ce lieu est vraiment charmant. J’ai été l’après midi, et dans une bonne disposition, me promener de l’autre côté de l’eau[1]. Là, assis sur un banc, je me suis mis à jeter sur mon calepin des réflexions analogues à celles que je trace ici. Je me suis dit et je ne puis assez me le redire pour mon repos et pour mon bonheur, — l’un et l’autre sont une même chose, — que je ne puis et ne dois vivre que par l’esprit ; la nourriture qu’il demande est plus nécessaire à ma vie que celle qu’il faut à mon corps. Pourquoi ai-je tant vécu ce fameux jour ? (J’écris ceci deux jours après.) C’est que j’ai eu beaucoup d’idées qui sont dans ce moment à cent lieues de moi.

    faces fardées, habillées, bourgeoises ou aristocratiques, tous mannequins. » (Correspondance, t. II, p. 52.)

  1. « … A peine dans les champs, au milieu des paysans, des bœufs, de quelque chose de naturel enfin, je rentrais dans la possession de moi-même, je jouissais de la vie. » (Correspondance, t. II, p. 52.)