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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Dimanche 10 juillet. — J’ai été, après mon travail, au Salon, pour examiner les tableaux, relativement à la distribution des médailles. Ce mode de les donner me paraît des plus vicieux. Tous ceux qui, comme moi, sont chargés de ce choix auront été frappés du même inconvénient. Il arrive presque toujours que chaque peintre qui me paraît mériter une troisième, une deuxième, ou une première médaille, l’a déjà obtenue.

Voilà, par exemple, un homme qui a déjà eu la deuxième ; lui donnera-t-on la première parce qu’il mérite la deuxième qu’on ne peut pas lui donner ? Il arrive ainsi qu’un artiste reçoit rarement une récompense pour celui de ses ouvrages qui la mérite davantage. C’est au moment où il fait un chef-d’œuvre qu’on n’a rien à lui offrir pour le récompenser ou l’encourager. Celui qui fait bien deux fois a plus de mérite que celui qui fait bien une fois. Si les femmes donnaient la médaille, elles seraient de cet avis. Mlle Rosa Bonheur[1] a fait cette année un effort supérieur à tous ceux des années précédentes ; vous êtes réduit à l’encourager de la voix et du geste. M. Rodakowski, qui a fait un chef-d’œuvre cette année[2], est obligé de se consoler avec la médaille qu’il a obtenue l’année dernière pour un ouvrage inférieur. M. Ziem, avec sa Vue de Venise, se maintient à la hauteur de ses tableaux de

  1. Delacroix fait allusion au tableau connu sous le nom du Marché aux chevaux, qui fut exposé au Salon de 1853.
  2. Portrait de Mme Rodakowski, mère du peintre.