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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ce paysage tout embaumé, pendant que je me promenais en long, en large, dans le logement, tout plein d’idées et de bonnes dispositions, me ravissait chaque fois que je tournais la tête pour le regarder… Quelques fables de La Fontaine m’ont enchanté.

Sorti, qu’il faisait encore soir, et promené sur la route de Soisy, dans le même état d’esprit. Le brouillard et le temps mauvais ne font rien pour la tristesse de l’esprit ; c’est quand il fait nuit dans notre âme que tout nous paraît ou lugubre ou insupportable, et il ne suffit pas d’être libre de vrais sujets de tristesse ; il suffit de l’état de la santé pour tout changer… L’infâme digestion est le grand arbitre de nos sentiments.

Mercredi 1er juin. — En ouvrant la fenêtre de l’atelier, le matin, toujours avec ce même temps brumeux, je suis comme enivré de l’odeur qui s’exhale de toute cette verdure trempée de gouttes de pluie et de toutes ces fleurs courbées et ravagées, mais belles encore.

De quels plaisirs n’est pas privé le citadin, le cancre d’employé ou d’avocat, qui ne respire que l’odeur des paperasses ou de la boue de l’infâme Paris ! Quelles compensations pour le paysan, pour l’homme des champs ! Quel parfum que celui de cette terre mouillée, de ces arbres ! Cette forte odeur des bois, qu’elle est pénétrante, et quelle réveille aussitôt des souvenirs gracieux et purs, souvenirs du premier âge et des sentiments qui tiennent au fond de