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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

petit prodige de cette espèce. On lui demande après le morceau comment il le trouve ; il répond qu’il l’aimait mieux auparavant, parce qu’il était plus vieux… Quelle drôle d’idée et amusante !

Suite de ce que j’ai écrit hier dimanche. — Il y a peu de gens avec qui je ne puisse me plaire ; il y en a peu, quand on a le désir de leur plaire soi-même, qui ne vous rendent quelque chose pour vos frais ; j’ai beau chercher dans ma mémoire les gens les moins amusants, il me semble que par le moyen de ce simple désir d’être avec eux le mieux possible, ce qu’ils ont eux-mêmes de chaleur, et je parle des plus froids et des plus revêches, revient à la surface, se montre à vous, vous répond et entretient votre bonne disposition. De ce qu’on les oublie vite et de ce que leur souvenir ne réveille pas en vous la moindre parcelle de sentiment, il ne faut pas conclure que vous soyez un ingrat, ni eux plus intéressants… Ce sont deux métaux, deux corps quelconques qui sont inertes chacun séparément, et qui jettent un peu de flamme quand ils sont en contact. Éloignez-les l’un de l’autre, ils rentrent très justement dans leur insensibilité.

Quand je pense à P…, à R…[1], et que je ne les

    trouver et lui a dit : Je ne peux pas peindre sur votre plafond. (C’était lors des travaux décoratifs du Palais-Bourbon.) Il ne tient à rien ; cela ne durera pas trois ans ! — Qu’est-ce que cela vous fait, pourvu qu’on vous paye ?… M. Delacroix n’a pas cru devoir adopter ces principes d’art moderne, et a fait recrépir le plafond à ses frais. »
    Nous avons interrogé des personnes dignes de toute confiance sur l’exactitude du fait : il est, paraît-il, absolument authentique.

  1. Ces initiales dissimulent si peu les noms de Pierret et de Riesener,