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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

un clair-obscur saisissant pour l’imagination, une couleur adaptée aux caractères, vous avez résolu un problème plus difficile, et, encore une fois, vous êtes supérieur : c’est l’harmonie et ses combinaisons adaptées à un chant unique. Il appelle musicale cette tendance dont il parle ; il la prend en mauvaise part, et moi, je la trouve aussi louable que toute autre…

Son ami Chenavard lui a insinué ses principes sur les arts : celui-ci trouve que la musique est un art inférieur ; c’est un esprit à la française, auquel il faut des idées comme celles que les mots peuvent exprimer ; quant à celles devant lesquelles le langage est impuissant, il les retranche du domaine des arts. Même en admettant que le dessin soit tout, il est clair qu’il ne se contente pas de la forme pure et simple. Il y a, dans ce contour qui lui suffit, de la grossièreté ou de la grâce : ce contour fait par Raphaël ou par Chenavard ne charmera pas de la même façon. Qu’y a-t-il de plus vague et de plus inexplicable que cette impression ? Faudra-t-il établir des degrés de noblesse entre les sentiments ? C’est ce que fait le docte et malheureusement trop froid Chenavard… Il met au premier rang la littérature ; la peinture vient ensuite, et la musique n’est que la dernière. Cela serait peut-être vrai, si l’une d’elles pouvait contenir les autres ou les suppléer ; mais devant une peinture ou une symphonie que vous aurez à décrire avec des mots, vous donnerez facilement une idée générale où le lecteur comprendra ce qu’il pourra ; mais vous n’aurez vraiment