Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

gurées par la malignité ; d’ailleurs, cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. » — « Petits esprits, ajoute Sainte-Beuve[1], je n’aime pas qu’on dise cela des autres, surtout quand ces autres composent une classe, un groupe naturel ; c’est une manière commode et allégée d’indiquer qu’on est soi-même d’un groupe différent. »

Je crois pour ma part que Sainte-Beuve, qui fait partie de ce groupe d’anecdotiers antipathiques à Voltaire, a tort de lui en vouloir de ce qu’il attaque, dit-il, un groupe. Certes, les sots forment un groupe qui n’est pas plus respectable pour être plus nombreux. Il est naturel qu’on attaque ce qu’on n’aime pas, sans considérer si ce quelque chose forme un groupe ou non. Je suis, pour moi, de l’avis de Voltaire : j’ai toujours détesté les collecteurs et raconteurs d’anecdotes, celles surtout de la veille et qui sont précisément de la nature de celles qui déplaisaient à Voltaire. Le pauvre Beyle[2] avait le travers

  1. Les relations furent toujours excellentes entre Sainte-Beuve et Delacroix. En 1862, le peintre écrivait au critique : « Que je vous remercie du plaisir que m’a causé le souvenir si flatteur que vous me donnez dans votre excellent article sur ce brave Delécluze, auquel vous faites trop d’honneur en le touchant de votre plume délicate ! » Dans une étude sur Léopold Robert du 21 août 1854, Sainte-Beuve écrivait : « Il y a eu des peintres excellents écrivains ; sans remonter plus haut, sir Josué Reynolds et M. Eugène Delacroix, ces brillants coloristes par le pinceau, sont d’ingénieux et d’habiles écrivains avec la plume. »
  2. Delacroix, tout comme Balzac, appréciait, à une époque où il était complètement méconnu, pour ne pas dire inconnu, le rare talent de Stendhal. Dans une curieuse note qui fait partie d’une étude du peintre sur le Jugement dernier de Michel-Ange, étude qui parut dans la Revue des Deux Mondes du 1er août 1837, Delacroix vante la magnifique