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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

dité extrême, quand il travaille d’après nature. L’indépendance de l’imagination doit être entière devant le tableau. Le modèle vivant, en comparaison de celui que vous avez créé et mis en harmonie avec le reste de votre composition, déroute l’esprit et introduit un élément étranger dans l’ensemble du tableau.

Mercredi 27 avril. — Dîné chez la princesse Marcellini avec Grzimala. Délicieux trio de Weber, qui a malheureusement précédé un trio de Mozart : il fallait intervertir cet ordre. J’avais une grande envie de dormir, qui a été tenue en respect par le premier morceau ; mais je n’ai pas pu tenir devant le second. La forme de Mozart, moins imprévue et, j’ose le dire, plus parfaite, mais surtout moins moderne, a vaincu mon attention, et la digestion a triomphé.

Jeudi matin 28 avril. — Il faut une foule de sacrifices pour faire valoir la peinture, et je crois en faire beaucoup, mais je ne puis souffrir que l’artiste le montre. Il y a pourtant de fort belles choses qui sont conçues dans le sens outré de l’effet : tels sont les ouvrages de Rembrandt, et chez nous, Decamps. Cette exagération leur est naturelle et ne choque point chez eux. Je fais cette réflexion en regardant mon portrait de M. Bruyas[1] ; Rembrandt n’aurait

  1. M. Bruyas est représenté assis dans un fauteuil et vu jusqu’à mi-corps. Ce portrait figure à la galerie Bruyas, à Montpellier.