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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

échange de pensées qu’on ne peut comprendre. Le paysage est d’une vigueur extraordinaire, mais il n’a fait autre chose que mettre en grand une étude que l’on voit là près de sa toile ; il en résulte que les figures y ont été mises ensuite et sans lien avec ce qui les entoure. Ceci se rattache à la question de l’accord des accessoires avec l’objet principal, qui manque à la plupart des grands peintres. Ce n’est pas la plus grande faute de Courbet. Il y a aussi une Fileuse[1] endormie, qui présente les mêmes qualités de vigueur, en même temps que d’imitation… Le rouet, la quenouille, admirables ; la robe, le fauteuil, lourds et sans grâce. Les Deux Lutteurs montrent le défaut d’action et confirment l’impuissance dans l’invention. Le fond tue les figures, et il faudrait en ôter plus de trois pieds tout autour.

O Rossini ! O Mozart ! O les génies inspirés dans tous les arts, qui tirent des choses seulement ce qu’il faut en montrer à l’esprit ! Que diriez-vous devant ces tableaux ? Oh ! Sémiramis !… Oh ! entrée des prêtres, pour couronner Ninias !

Samedi 16 avril. — Dans la matinée, on m’a amené Millet[2]… Il parle de Michel-Ange et de la Bible,

  1. Cette Fileuse figurait à l’Exposition universelle de 1889.
  2. Il nous paraît au moins curieux de rapprocher du jugement de Delacroix celui de Baudelaire sur le même Millet : « M. Millet cherche particulièrement le style : il ne s’en cache pas ; il en fait montre et gloire. Mais une partie du ridicule que j’attribuais aux élèves de M. Ingres s’attache à lui. Le style lui porte malheur. Ses paysans sont