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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Une chose dont on ne s’est pas douté, à l’apparition de Rossini, et pour laquelle on a oublié de le critiquer, parmi tant de critiques, c’est à quel point il est romantique. Il rompt avec les formules anciennes illustrées jusqu’à lui par les plus grands exemples. On ne trouve que chez lui ces introductions pathétiques, ces passages souvent très rapides, mais qui résument, pour l’âme, toute une situation, et en dehors de toutes les conventions. C’est même une partie, et la seule, dans son talent, qui soit à l’abri de l’imitation. Ce n’est pas un coloriste à la Rubens. J’entends toujours parler de ces passages mystérieux. Il est plus cru ou plus banal dans le reste, et, sous ce rapport, il ressemble au Flamand ; mais partout la grâce italienne, et même l’abus de cette grâce.

Dimanche 3 avril. — Retourné aux Italiens : le Barbier. Tous ces motifs charmants, ceux de la Sémirarnis et du Barbier sont continuellement avec moi.

Je travaille à finir mes tableaux pour le Salon, et tous ces petits tableaux qu’on me demande. Jamais il n’y a eu autant d’empressement. Il semble que mes peintures sont une nouveauté découverte récemment[1].

  1. Le 14 avril 1853, Delacroix écrivait à M. Moreau père : « Eh bien, oui, cher ami, c’est vraiment à n’y pas croire, et pour ma part je n’y comprends rien. Il semble maintenant que mes peintures soient une nouveauté récemment découverte, que les amateurs vont m’enrichir après m’avoir méprisé. » Dans une précédente note, et à propos de toiles vendues par le maître à des marchands ou à des amateurs, nous avons fait quelques rapprochements de chiffres qui par eux-mêmes sont assez éloquents. Delacroix ne s’en montrait pourtant pas mécontent. Il n’était pas exigeant à ce point de vue. Souvent dans sa correspondance il demande à l’amateur qui désire une de ses œuvres d’en fixer lui-même le prix. A cinquante-cinq ans, après trente années de production ininterrompue, c’est un sentiment de surprise qu’il éprouve à constater que le succès lui vient !