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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

avec une amabilité qu’on n’attendrait guère d’un homme qui m’a peu flatté, la plume à la main, depuis environ trente ans qu’il m’immole à chaque Salon. Le troisième personnage qui m’a demandé à venir me voir est un jeune homme que je me rappelle avoir vu, sans savoir où et sans connaître son nom ; cette distraction est fréquente chez moi.

Le souvenir de cette délicieuse musique (Sémiramis)[1] me remplit d’aise et de douces pensées, le lendemain 1er avril. Il ne me reste dans l’âme et dans la pensée que les impressions du sublime, qui abonde dans cet ouvrage. A la scène, le remplissage, les fins prévues, les habitudes de talent du maître refroidissent l’impression, mais ma mémoire, quand je suis loin des acteurs et du théâtre, fond dans un ensemble le caractère général, et quelques passages divins viennent me transporter et me rappellent en même temps celui de la jeunesse écoulée.

L’autre jour, Rivet[2] vint me voir, et, en regar-

    ments portés par le célèbre adversaire du maître sur ses différentes expositions. En 1822, il écrivait à propos du Dante et Virgile : « La force convient à l’étude. M. Delacroix l’indique par son tableau du Dante et Virgile ; ce tableau n’en est pas un ; c’est, comme on le dit en style d’atelier, une vraie tartouillade. » En 1855, réunissant ses articles parus dans le Journal des Débats, après avoir dit quelques mots des débuts du jeune homme de talent auquel il n’avait cessé de prodiguer ses conseils, il recommençait « le procès intenté depuis trente ans à l’École moderne ». (V. le livre de M. Tourneux.)

  1. Sémiramis, opéra en deux actes, de Rossini.
  2. Nous avons déjà noté que le baron Rivet avait été un ami de jeunesse et un camarade d’atelier de Delacroix et de Bonington. M. Tourneux dit à propos de lui : « Il avait écrit sur le premier de ces deux grande artistes un article très important qui fut présenté à la Revue des Deux