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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

dans lequel la forme l’aura occupé[1]… Quand le Poussin disait, dans une boutade, que Raphaël était un âne, à côté de l’antique, il savait ce qu’il disait : il ne pensait qu’à comparer le dessin, les connaissances anatomiques de l’un et des autres, et il avait beau jeu à prouver que Raphaël était ignorant à côté des anciens.

À ce compte-là, il aurait pu dire aussi que Raphaël n’en savait pas autant que lui même Poussin, mais dans une autre disposition… En présence des miracles de grâce et de naïveté unies ensemble, de science et d’instinct de composition poussés à un point où personne ne l’a égalé, Raphaël lui eût paru ce qu’il est en effet, supérieur même aux anciens, dans plusieurs parties de son art, et particulièrement dans celles qui ont été entièrement refusées au Poussin.

L’invention chez Raphaël, et j’entends par là le dessin et la couleur, est ce qu’elle peut ; non pas que j’entende dire par là qu’elle est mauvaise ; mais telle quelle est, si on la compare aux merveilles en ce genre du Titien, du Corrège, des Flamands, elle devient secondaire, et elle devait l’être ; elle eût pu

  1. C’est un retour à l’idée que nous notions dans notre Étude et dont nous nous servions pour justifier la publication du Journal : « Pourquoi ne pas faire un petit recueil d’idées détachées qui me viennent de temps en temps toutes moulées, et auxquelles il serait difficile d’en coudre d’autres ? Faut-il absolument faire un livre dans toutes les règles ? Montaigne écrit à bâtons rompus… Ce sont les ouvrages les plus intéressants. » (Voir t, p. iv, v.)