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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

appliquée aux vulgarités de l’existence, comme aux choses importantes, donnerait à lame un ressort et un équilibre qui est l’état le plus propre à écarter l’ennui. Sentir qu’on a fait ce qu’il fallait faire vous élève à vos propres yeux. Vous jouissez ensuite, à défaut d’autre sujet de plaisir, de ce premier des plaisirs, être content de soi. La satisfaction de l’homme qui a travaillé et convenablement employé sa journée est immense. Quand je suis dans cet état, je jouis délicieusement ensuite du repos et des moindres délassements. Je peux même, sans le moindre regret, me trouver dans la société des gens les plus ennuyeux. Le souvenir de la tâche que j’ai accomplie me revient et me préserve de l’ennui et de la tristesse.

Mardi 14 septembre. — Ma dernière journée à Dieppe n’a pas été la meilleure. J’avais la gorge irritée d’avoir trop parlé la veille. J’ai été au Pollet, après avoir fait ma malle, pour éviter les rencontres. J’ai vu entrer dans le port le bâtiment qu’on venait de lancer, remorqué par une chaloupe. Rentré mal disposé. J’ai été faire ma dernière visite à la mer, vers trois heures. Elle était du plus beau calme et une des plus belles que j’aie vues. Je ne pouvais m’en arracher. J’étais sur la plage et n’ai point été sur la jetée de toute la journée. L’âme s’attache avec passion aux objets que l’on va quitter.

Parti à sept heures moins un quart. Chose merveilleuse ! nous étions à Paris à onze heures cinq. Un