Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

J’ai trouvé sur la jetée Mme Sheppard. Elle m’a invité à dîner pour demain. J’ai esquivé la jeune dame d’hier, qui devient assommante ; elle et son monde ont encore gâté ma soirée ; impossible de les éviter à la jetée… En vérité, je suis d’une bêtise extrême : je suis simplement poli et prévenant pour les gens ; il faut qu’il y ait dans mon air quelque chose de plus. Ils s’accrochent à moi, et je ne peux plus m’en défaire. Entré un moment à l’établissement le soir, grâce à l’instance de Possoz[1], qui est là comme chez lui : la mer, qui était pleine, se brisait avec une belle fureur.

— Je fais ici d’une manière assez complète cette expérience qu’une liberté trop complète mène à l’ennui. Il faut de la solitude et il faut de la distraction. La rencontre de P…, que je redoutais, m’est devenue une ressource à certains moments. Celle de Mme Sheppard de même pour quelques instants. Sans Dumas et son Balsamo, je reprenais le chemin de Paris, si bien que maintenant ces interruptions à ma solitude sont ce qui me prend le plus de temps, et je suis loin de regretter mes vagues rêveries.

Tout ce qui est grand produit à peu près la même sensation. Qu’est-ce que la mer et son effet sublime ? celui d’une énorme quantité d’eau… Hier soir, j’écoutais avec plaisir le clocher de Saint-Jacques qui sonne très tard, et en même temps je voyais dans l’ombre

  1. Possoz, ancien maire de Passy, membre du conseil municipal de Paris.