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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

des espaces d’eau sur un sable très fin, qui se trouvaient séparés çà et là ou enfermés par de petits rochers, figuraient très bien les flots mêmes de la mer. En les copiant avec des colorations convenables, on eût donné l’idée du mouvement des vagues si difficile à saisir. A Tanger, au contraire, sur une plage unie, les eaux, en se retirant, laissaient l’empreinte de petits sillons, qui figuraient à s’y méprendre les rayures de la peau des tigres. La trace que j’ai trouvée hier sur la route de Soisy représentait exactement les branches de certains arbres, quand ils n’ont pas de feuilles ; la branche principale était l’eau répandue, et les petites branches qui s’enlaçaient de mille manières étaient produites par les éclaboussures qui partaient et se croisaient de droite et de gauche.

J’ai en horreur le commun des savants : j’ai dit ailleurs qu’ils se coudoyaient dans l’antichambre du sanctuaire où la nature cache ses secrets, attendant toujours que de plus habiles en entre-bâillent la porte : que l’illustre astronome danois ou norvégien ou allemand Borzebilocoquantius[1] découvre avec sa lunette une nouvelle étoile, comme je l’ai vu dernièrement mentionné, le peuple des savants enregistre avec orgueil la nouvelle venue, mais la lunette n’est pas fabriquée qui leur montre les rapports des choses.

Les savants ne devraient vivre qu’à la campagne,

  1. Berzélius, savant suédois dont le nom est écrit autrement sur la couverture du carnet d’où ces notes sont extraites : Berzebilardinovoquentius.