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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

V… était là. Il ne m’a pas paru atteint comme moi par ce terrible tableau, il est borné dans ses admirations ; c’est que son sentiment ne le sert plus au delà d’une certaine mesure de talent, qu’il n’apprécie encore que dans un certain nombre d’artistes d’une certaine école : il est excellent et cause sérieusement ; mais il ne vous échauffe jamais. C’est un homme de mérite auquel il manque toutes les grâces. Nous avons vu ensemble le tableau de la vieillesse de David[1], qui représente la Colère d’Achille ; c’est la faiblesse même ; l’idée et la peinture sont également absentes. J’ai pensé aussitôt à l’Agamemnon et l’Achille de Rubens, que j’ai vus il y a à peine un mois.

Samedi 21 février. — Le soir au Jardin d’hiver, où j’ai mené Mme de Forget, au bal du IXe arrondissement, pour lequel j’avais souscrit. Il m’est arrivé comme les deux jours précédents : je me suis préparé avec répugnance, et j’ai été dédommagé de mes appréhensions.

L’aspect de ces arbres exotiques dont quelques-uns sont gigantesques, éclairés par des feux électriques, m’a charmé. L’eau, et le bruit qu’elle fait au

  1. Il ne paraît pas que Delacroix ait été plus favorable aux tableaux de la jeunesse ou de la maturité qu’à ceux de la vieillesse de David, car du Maroc il écrivait à Villot en 1832 : « Les héros de David et compagnie feraient une triste figure avec leurs membres couleur de rose auprès de ces fils du soleil. » Et à Thoré, en 1840 : « Vous signalez fort bien que, particulièrement dans la question du dessin, on ne veut en peinture que le dessin du sculpteur, et cette erreur, sur laquelle a vécu toute l’école de David, est encore toute-puissante. »