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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tout, renverse et retourne les résolutions les plus avancées… Par un sentiment intérieur de bonne foi, je ne voudrais pas paraître mieux que je ne suis, mais à quoi bon ? Chaque homme s’inquiète bien plus de la moindre de ses misères que des plus insignes calamités d’une nation tout entière.

— Ne fais que juste ce qu’il faudra. — Tu t’es trompé : ton imagination t’a trompé.

— Cette musique m’inspire souvent de grandes pensées. Je sens un grand désir de faire, quand je l’entends ; ce qui me manque, je crains, c’est la patience. Je serais un tout autre homme, si j’avais dans le travail la tenue de certains que je connais ; je suis trop pressé de produire un résultat.

— Nous avons dîné ensemble, Charles et Piron ; puis aux Italiens. Comme toutes ces femmes m’agitent délicieusement ! Ces grâces, ces tournures, toutes ces divines choses que je vois et que je ne posséderai jamais me remplissent de chagrin et de plaisir à la fois[1].

— Je voudrais bien refaire du piano et du violon.

— J’ai repensé aujourd’hui avec complaisance à la dame des Italiens.

  1. Ces préoccupations amoureuses le hantaient depuis sa première jeunesse. On pourrait rapprocher ce passage d’un fragment de lettre adressée à Pierret le 21 février 1821 : « Je suis malheureux, je n’ai point d’amour. Ce tourment délicieux manque à mon bonheur. Je n’ai que de vains rêves qui m’agitent et ne satisfont rien du tout. J’étais si heureux de souffrir en aimant ! Il y avait je ne sais quoi de piquant jusque dans ma jalousie, et mon indifférence actuelle n’est qu’une vie de cadavre. » (Corresp., t. I, p. 75.)