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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

simples ! Ils ôtent à la peinture tous ses avantages. L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un point mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur. Il voit des figures de la nature extérieure, mais il pense intérieurement de la vraie pensée qui est commune à tous les hommes, à laquelle quelques-uns donnent un corps en l’écrivant, mais en altérant son essence déliée ; aussi les esprits grossiers sont plus émus des écrivains que des musiciens et des peintres. L’art du peintre est d’autant plus intime au cœur de l’homme qu’il paraît plus matériel, car chez lui, comme dans la nature extérieure, la part est faite franchement à ce qui est fini et à ce qui est infini, c’est-à-dire à ce que l’âme trouve qui la remue intérieurement dans les objets qui ne frappent que les sens.

Paris, 12 octobre. — Je rentre des Nozze[1] tout plein de divines impressions.

— J’ai vu M. H*** ce matin ; je suis toujours troublé comme un faible enfant. Quelle mobilité que celle de mon esprit ! Un instant, une idée dérange

  1. On sait quelle admiration Delacroix professait pour le génie de Mozart. Cette reprise des Noces le préoccupait, et il l’attendait avec impatience, car le 30 août 1822, il écrivait à Pierret : « Dis-moi si tu sais qui fait le rôle de la comtesse dans les Nozze di Figaro que l’on joue à présent, depuis que Mme Mainvielle n’y est plus. » M. Burty ajoute en note : « Les Nozze furent données du 27 juillet au 14 septembre, quatre fois avec cette distribution : Almaviva, Levasseur ; Figaro, Pellegrini ; Bartolo, Profeti ; Bazilio, Deville ; Antonio, Auletta ; Comtessa, Bonini ; Suzanna, Naldi ; Cherubino, Cinti ; Marcelina, Goria ; Barberina, Blangy. » (Corresp., t. I, p. 91.)