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XLVIII
EUGÈNE DELACROIX.

vous impose ces prétendus défauts qui tiennent à une force qui l’entraîne lui-même et nous subjugue, en dépit des préceptes qui sont bons pour tout le monde excepté pour lui. »

De même pour Rembrandt, dont il devait pénétrer le génie mystérieux mieux qu’aucun peintre de son temps. Il chérissait en lui le sens dramatique des choses, l’intuition profonde des âmes, cette étrange et douloureuse compréhension de la vie, par laquelle le grand artiste nous fait vibrer jusqu’aux profondeurs de notre être. Dans une page de l’année 1851, que Delacroix n’eût sans doute pas, à cette époque, livrée à la publicité, car il en comprenait la portée révolutionnaire, il compare Raphaël et Rembrandt, et confie à son Journal le secret de ses préférences : « Peut-être découvrira-t-on que Rembrandt est un beaucoup plus grand peintre que Raphaël. J’écris ce blasphème propre à faire dresser les cheveux de tous les hommes d’école, sans prendre décidément parti ; seulement je trouve en moi, à mesure que j’avance dans la vie, que la vérité est ce qu’il y a de plus beau et de plus rare. Rembrandt n’a pas, si vous voulez, l’élévation de Raphaël. Peut-être cette élévation que Raphaël a dans les lignes, Rembrandt l’a-t-il dans la mystérieuse conception des sujets, dans la profonde naïveté des expressions et des gestes. Bien qu’on puisse préférer cette emphase majestueuse de Raphaël qui répond peut-être à la grandeur de certains sujets, on pourrait affirmer, sans se faire lapider par les hommes de goût, mais j’entends d’un goût véritable et sincère, que le grand Hollandais était plus nativement peintre que le studieux élève de Pérugin. »

Les maîtres vénitiens furent toujours chers à Delacroix.