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XLIV
EUGÈNE DELACROIX.

temps l’éducation musicale en France, si l’on réfléchit que le grand art allemand n’avait pas encore pénétré dans le public et n’était encore compris que de quelques rares élus, si d’autre part on abandonne le domaine de la pure musique pour aborder celui de la musique dramatique, on reconnaîtra que, loin d’être un retardataire, il fut plutôt un avancé. Ses aversions et ses préférences ne laissent pas d’être significatives : nous avons vu le jugement qu’il portait sur la Juive ; il détestait Meyerbeer, dans les ouvrages duquel il notait une lourdeur et une vulgarité croissantes, ce qui n’est déjà pas si mal pour son temps : « L’affreux Prophète, que son auteur croit sans doute un progrès, est l’anéantissement de l’art. » En revanche, il ne se lassait pas du Don Juan de Mozart, et les œuvres de Glück lui inspiraient une admiration sans réserve. À leur sujet, il expose sur l’union de la déclamation et de la musique, sur la puissance expressive du son combiné avec la parole, des idées éminemment modernes : « Chez Viardot, musique de Glück… Le philosophe Chenavard ne disait plus que la musique est le dernier des arts. Je lui disais que les paroles de ces opéras étaient admirables. Il faut de grandes divisions tranchées ; ces vers arrangés sur ceux de Racine, et par conséquent défigurés, font un effet bien plus puissant avec la musique. Chenavard convenait, sans que je l’en priasse, qu’il n’y a rien à comparer à l’émotion que donne la musique : elle exprime des nuances incomparables. » Enfin, à propos de certains opéras italiens qui alors étaient à la mode, il écrit ces lignes, qui sans doute eussent profondément stupéfié ses contemporains, s’ils les avaient connues : « Cette musique « mince » ne va pas aux temps