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XLI
EUGÈNE DELACROIX.

émet le regret de n’être pas né poète, après avoir comparé dans leur puissance expressive les arts qui se meuvent dans le temps à ceux qui, comme la peinture, produisent une impression d’un bloc et simultanément. Delacroix en profite pour marquer la nécessité de bien comprendre les limites des différents arts : « L’expérience est indispensable pour apprendre tout ce qu’on peut faire avec son instrument, mais surtout pour éviter ce qui ne doit pas être tenté : l’homme sans maturité se jette dans des tentatives insensées ; en voulant faire rendre à l’art plus qu’il ne doit et ne peut, il n’arrive pas même à un certain degré de supériorité dans les limites du possible. » Certains lui ont reproché de n’avoir pas toujours scrupuleusement obéi au principe qu’il pose ainsi et qu’il aimait à répéter ; nous n’avons pas à examiner la question ; mais en admettant que le reproche fût fondé, on ne saurait voir dans une pareille tendance que l’affirmation de son génie. Il aimait passionnément la peinture, et lorsqu’il en parle, il ne trouve pas d’expressions assez enthousiastes pour en décrire les délices. Une seule chose l’affligeait, c’était sa fragilité ; en présence de ces toiles qui ne peuvent résister à l’action du temps, une indicible tristesse l’envahissait. Il reconnaissait la supériorité des conditions matérielles de l’œuvre écrite, qui traverse les siècles à l’abri de la destruction et n’a rien à craindre des injures du temps.

Attentif à toutes les productions de son époque, Delacroix avait assisté au développement de la forme romanesque, sans enthousiasme, il faut le dire. Il reprochait au roman moderne de s’appuyer sur de faux principes d’esthétique, d’abuser des descriptions de lieux, de costumes,