Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXXVIII
EUGÈNE DELACROIX.

chez ceux qui doivent leur maîtrise au sens intime de la composition, à l’idée qui soutient l’œuvre et la dirige, plutôt qu’aux qualités d’exécution : il cite comme exemples Rembrandt et Poussin. À cet égard, il distingue deux catégories d’artistes nettement différenciées : ceux chez lesquels l’idée prédomine, qui tirent tout d’eux-mêmes et sont le plus redevables à l’invention : Rembrandt par-dessus tous ; ceux, au contraire, qui excellent dans le rendu, et chez qui l’imitation de la nature joue un rôle plus marqué : Titien ou Murillo. » Ils arrivent par une autre voie à l’une des perfections de l’art. »

Delacroix se trouve ainsi conduit à examiner la question de l’« emploi du modèle ». D’après lui, le modèle ne devrait être que le guide de l’artiste, quelque chose comme le dictionnaire auquel il se plaisait à comparer la nature qui pose devant l’œil du peintre : il serait fait uniquement pour soutenir les défaillances de l’exécution et lui permettre d’avancer avec assurance. À ce propos, il s’analyse lui-même et, faisant un retour sur son passé, reconnaît qu’il a commencé à se satisfaire le jour où il a négligé les petits détails pour subordonner ses compositions à l’idée d’ensemble, le jour où il n’a plus été poursuivi uniquement par l’amour de l’exactitude, où il a compris que la vérité résidait dans l’interprétation de la nature. C’est le contraire qu’il observe chez la plupart des peintres, précisément à cause de l’abus qu’ils font du modèle.

Ce qui s’impose toujours à lui, on le voit, c’est le souci de la composition, c’est la prédominance de l’idée sur l’exécution, c’est la prépondérance de la personnalité de l’artiste qui doit s’affirmer dans toutes ses œuvres, même