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XXXVI
EUGÈNE DELACROIX.

position fût faite autrement que par « masses marchant simultanément » : c’était là un des principes d’art qui lui tenaient le plus au cœur, et il lui paraissait aussi hostile à une saine méthode de travail de peindre par fragments isolés qu’il lui eût semblé contraire à une bonne discipline de l’esprit de traiter telle partie d’une composition littéraire sans obéir à un plan nettement délimité, sans avoir préparé par avance les développements avoisinants. Cette règle, qu’il considérait comme fondamentale, lui était apparue avec la lumière de l’évidence en constatant les inconvénients de la méthode contraire dans des tableaux qu’il avait vus en préparation, notamment à l’atelier de Delaroche dont il détestait d’ailleurs la facture ; il comparait ce genre d’ouvrage « à un travail purement manuel qui doit couvrir une certaine quantité d’espace en un temps déterminé, ou à une longue route divisée en un grand nombre d’étapes… Quand une étape est faite, elle n’est plus à faire, et quand toute la route est parcourue, l’artiste est délivré de son tableau. » Dans un fragment de l’année 1854 qui traite la question avec l’ampleur qu’elle comporte, voici ce qu’il écrit : « Le tableau composé successivement de pièces de rapport, achevées avec soin et placées à côté les unes des autres, paraît un chef-d’œuvre et le comble de l’habileté, tant qu’il n’est pas achevé, c’est-à-dire tant que le champ n’est pas couvert ; car finir, pour ces peintres qui finissent chaque détail en le posant sur la toile, c’est avoir couvert cette toile. En présence de ce travail qui marche sans encombre, de ces parties qui paraissent d’autant plus intéressantes que vous n’avez qu’elles à examiner, on est involontairement saisi d’un étonnement peu réfléchi ;