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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ayant été le trouver pour les affaires de l’armée, le trouva la tête dans les mains, la figure couverte de larmes ; il lui demanda la cause de son chagrin. Berthier ne craignit pas de lui dire combien il était affreux de se voir contrarié sans fin dans ses entreprises : « A quoi sert, disait-il, d’avoir des richesses, des hôtels, des terres, s’il faut sans cesse faire la guerre et compromettre tout cela ? »

Napoléon n’opposait que la patience à leurs plaintes et à leurs reproches souvent odieux ; il les aimait, malgré leur ingratitude, et comme de vieux compagnons.

Avant les dernières années, me disait M. Meneval, personne n’avait osé se permettre une observation devant un ordre de lui… La confiance l’avait en partie abandonné, mais point du tout la sûreté et la fermeté de son génie, comme la campagne de France l’a si bien prouvé. Si à Waterloo, à la fin de la bataille, il eût eu sous la main cette réserve de la garde qu’il refusa d’engager à la Moskowa, il eût encore gagné la bataille, malgré l’arrivée des Prussiens.

Je demandai à M. Meneval s’il n’avait pas été tout à fait indisposé à la Moskowa, suivant l’opinion accréditée généralement. Il fut effectivement souffrant et atteint, surtout après la bataille, d’une telle extinction de voix qu’il lui fut impossible de donner un ordre verbal. Il était obligé de griffonner ses ordres sur des chiffons de papier ; cependant il avait toute