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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Lundi 23 juillet. — Je dînais chez Mme de Forget avec Cavé, sa femme, etc.

Le soir, M. Meneval[1] me parlait de l’affreuse conduite des généraux et maréchaux de l’Empereur, à Arcis-sur-Seine ou sur Aube. M. F…, logeant dans une autre maison que celle de l’Empereur, et traversant une place pour se rendre près de lui, trouva un groupe de généraux, parmi lesquels le maréchal Ney, qui délibéraient entre eux s’ils ne feraient pas subir à leur bienfaiteur le sort de Romulus : le tuer, l’enterrer là, leur semblait un moyen comme un autre de se débarrasser et d’aller jouir dans leur hôtel ; c’était, disaient-ils, le fléau de la France, etc. L’Empereur, à qui M. F… raconta la chose avec l’émotion concevable, se contenta de dire qu’ils étaient fous.

Le maréchal Ney fut le plus inconvenant vis-à-vis de lui, après la bataille de la Moskowa,… se plaignant qu’en ménageant la garde, il l’avait privée des fruits d’une victoire plus complète. Ce fut encore lui le plus cruel à Fontainebleau ; il alla jusqu’à menacer l’Empereur de lui faire un mauvais parti, s’il n’abdiquait pas.

Dans le cours de la campagne de Russie, dans un village où l’Empereur, étant logé à l’étroit, n’avait pu avoir près de lui le prince Berthier, M. Meneval,

  1. Baron de Meneval, né en 1778, mort en 1850. Ancien secrétaire du premier Consul, et plus tard de l’Empereur ; il accompagna Napoléon dans ses campagnes, fut nommé baron et maître des requêtes au conseil d’État. Il vécut dans la retraite à partir de la seconde Restauration, et se consacra à la publication des souvenirs historiques sur l’Empire.