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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

désole les musiciens vulgaires. Ce sentiment m’a donné une idée du plaisir que les savants, dignes de l’être, trouvent dans la science. C’est que la vraie science n’est pas ce que l’on entend ordinairement par ce mot, c’est-à-dire une partie de la connaissance différente de l’art ; non ! La science envisagée ainsi, démontrée par un homme comme Chopin, est l’art lui-même, et par contre l’art n’est plus alors ce que le croit le vulgaire, c’est-à-dire une sorte d’inspiration qui vient de je ne sais où, qui marche au hasard, et ne présente que l’extérieur pittoresque des choses. C’est la raison elle-même ornée par le génie, mais suivant une marche nécessaire et contenue par des lois supérieures. Ceci me ramène à la différence de Mozart et de Beethoven. « Là, m’a-t-il dit, où ce dernier est obscur et paraît manquer d’unité, ce n’est pas une prétendue originalité un peu sauvage, dont on lui fait honneur, qui en est cause ; c’est qu’il tourne le dos à des principes éternels ; Mozart jamais. Chacune des parties a sa marche, qui, tout en s’accordant avec les autres, forme un chant et le suit parfaitement ; c’est là le contrepoint, « punto contrapunto. » Il m’a dit qu’on avait l’habitude d’apprendre les accords avant le contrepoint, c’est-à-dire la succession des notes qui mène aux accords… Berlioz plaque des accords, et remplit comme il peut les intervalles.

Ces hommes épris à toute force du style, qui aiment mieux être bêtes que ne pas avoir l’air grave.