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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

se mêlent à son argumentation ; il parle d’une crevasse qu’il fallait que la Révolution franchît, pour passer des anciennes idées aux nouvelles. L’élan trop faible n’a pas permis de franchir cette fatale crevasse où l’avenir est bien près de se noyer, mais qui n’embourbe pas le moins du monde la rhétorique de Blanqui. Tout est, dans ce style, ardu, crevassé ou boursouflé. Les grandes et simples vérités n’ont pas besoin, pour s’énoncer et pour frapper les esprits, d’emprunter le style d’Hugo, qui n’a jamais approché de cent lieues de la vérité et de la simplicité.

Vendredi (soir) 6 avril. — Au Conservatoire avec Mmes Bixio et Menessier. On m’avait promis Cavaignac[1], et j’ai eu à sa place Ch. Blanc[2]. J’aurais été curieux de voir de près le fameux général. Le concert n’a pas été très beau ; j’avais conservé de la Symphonie héroïque un plus grand souvenir. Décidément Beethoven est terriblement inégal… Le premier morceau est bien ; l’andante, sur lequel je comptais, m’a complètement désappointé. Rien de beau, de sublime comme le début ! Tout d’un coup, vous tombez de cent pieds au milieu de la vulgarité la plus singulière. Le dernier morceau manque également d’unité.

  1. Le général Cavaignac avait dû se démettre du pouvoir à la suite de l’élection du 10 décembre 1848 qui avait appelé le prince Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Il jouissait cependant encore à Paris d’une immense popularité.
  2. Charles Blanc était alors à la tête de l’administration des beaux-arts.