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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Froid mortel tout le temps et peu de dédommagement dans la musique.

5 février. — M. Baudelaire[1] venu comme je me mettais à reprendre une petite figure de femme à l’orientale, couchée sur un sofa, entreprise pour Thomas[2], de la rue du Bac. Il m’a parlé des difficultés qu’éprouve Daumier à finir.

Il a sauté à Proudhon qu’il admire et qu’il dit l’idole du peuple. Ses vues me paraissent des plus modernes et tout à fait dans le progrès.

Continué la petite figure après son départ et repris les Femmes d’Alger.

  1. Tous les artistes connaissent les études que Baudelaire écrivit à différentes reprises sur Delacroix. Parmi ceux qui ont parlé du maître, nul mieux que Baudelaire n’était préparé à le faire, grâce à l’intuition pénétrante de son esprit critique, à son admirable sens de la modernité, surtout à cette universelle compréhension artistique, qui le rendait apte à juger toutes manifestations originales et nouvelles de Beauté. Le Salon de 1845, l’Exposition de 1846, l’Exposition universelle de 1855, lui furent autant d’occasions d’expliquer au public le génie de Delacroix. Mais ce fut surtout le Salon de 1859 qui lui inspira d’éloquentes pages sur le grand peintre. Ce Salon fut pour Delacroix, suivant l’expression de M. Burty, un véritable Waterloo, et Baudelaire lutta d’autant plus ardemment pour proclamer le génie de l’artiste que celui-ci était plus contesté. Aussi Delacroix lui écrivit-il à la suite de son article : « Comment vous remercier dignement pour cette nouvelle preuve de votre amitié ? Vous venez à mon secours au moment où je me vois houspillé et vilipendé par un assez bon nombre de critiques sérieux ou soi-disant tels… Ayant eu le bonheur de vous plaire, je me console de leurs réprimandes. Vous me traitez comme on ne traite que les grands morts ; vous me faites rougir tout en me plaisant beaucoup : nous sommes faits comme cela. » (Corresp., t. II, p. 218.) Après la mort du maître, Baudelaire fît paraître une étude intitulée : L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix, dans laquelle il réunit ses souvenirs personnels et les présenta au public sous cette forme originale et séduisante dont il avait le secret.
  2. Marchand de tableaux.