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XXI
EUGÈNE DELACROIX.

été que médiocrement intéressante ; une intelligence ordinaire n’eût rien trouvé à en tirer. Il est rare qu’il n’y rencontre pas l’occasion et le prétexte d’une note personnelle, presque toujours suggestive. De même et d’autant mieux s’il s’agit d’art, du sien en particulier : il visite une exposition, il entend une symphonie, il assiste à une représentation ; ou bien, plus simplement, il a travaillé tout le jour à l’une de ses œuvres, tableau de chevalet, esquisse de peinture murale, décoration de la Chambre ou du Louvre ; l’impression subie lui dictera quelque vue d’ensemble touchant aux plus hautes questions d’esthétique. C’est cette faculté généralisatrice, critérium de toutes les supériorités intellectuelles, et croissant avec son génie, qui communique un intérêt progressif à ces pages dans lesquelles il se raconte lui-même. Avec lui, vous ne sauriez vous heurter à l’une de ces étroites conceptions qui caractérisent les hommes de métier exclusif, et bornent fatalement leurs vues. Sans doute il peut se tromper ; il se trompe quelquefois, mais ses erreurs ne trahissent jamais une lacune irrémédiable de l’esprit. Enfin, comme dans tous les développements bien ordonnés, l’évolution de sa pensée obéit à des lois régulières, ne subit pas de temps d’arrêt, et les approches de la vieillesse n’entraînent point avec elles cet affaiblissement des forces cérébrales dont le spectacle est une des plus attristantes réalités d’ici-bas !

Je ne sais plus quel écrivain, arrivé au faîte de la réputation, et jetant un regard en arrière sur sa vie, souhaitait pour ses fils une destinée différente. Si Delacroix avait été contraint à de semblables préoccupations, il eût probablement formulé un vœu analogue. Tout