Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

— Le soir, été voir Labbé, puis Leblond. Garcia[1] y était.

Parlé de l’opinion de Diderot sur le comédien. Il prétend que le comédien, tout en se possédant, doit être passionné. Je lui soutiens que tout se passe dans l’imagination. Diderot, en refusant toute sensibilité à l’acteur, ne dit pas assez que l’imagination y supplée. Ce que j’ai entendu dire à Talma explique assez bien les deux effets combinés de l’espèce d’inspiration nécessaire au comédien et de l’empire qu’il doit en même temps conserver sur lui-même. Il disait être en scène parfaitement le maître de diriger son inspiration et de se juger, tout en ayant l’air de se livrer ; mais il ajoutait que si, dans ce moment, on était venu lui annoncer que sa maison était en feu, il n’eût pu s’arracher à la situation : c’est le fait de tout homme en train d’un travail qui occupe toutes ses facultés, mais dont l’âme n’est pas, pour cela, bouleversée par une émotion.

Garcia, en défendant le parti de la sensibilité et de la vraie passion, pense à sa sœur, la Malibran. Il nous a dit, comme preuve de son grand talent de comédienne, qu’elle ne savait jamais comment elle jouerait. Ainsi, dans le Roméo, quand elle arrive au tombeau de

  1. Manuel Garcia, musicien français, fils du célèbre chanteur Manuel Garcia. Formé par son père à l’enseignement du chant, il s’y consacra lui-même exclusivement, et fut attaché vers 1835 au Conservatoire de Paris. Ses sœurs, Marie et Pauline Garcia, se sont toutes deux rendues célèbres comme cantatrices, la première (morte en 1836 à Bruxelles) sous le nom de Mme Malibran, la seconde sous le nom de Mme Viardot.