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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

était jamais arrivé, du consentement des gens présents.

Champrosay, 3 juillet[1]. — Extraits de Rousseau sur l’origine des langues.

L’homme qui fait un livre s’impose l’obligation de ne pas se contredire. Il est censé avoir pesé, balancé ses idées, de manière à être conséquent avec lui-même. Au contraire, dans un livre comme celui de Montaigne, qui n’est autre chose que le tableau mouvant d’une imagination humaine, il y a tout l’intérêt du naturel et toute la vivacité d’impressions rendues, exprimées aussitôt que senties. J’écris sur Michel-Ange : je sacrifie tout à Michel-Ange. J’écris sur le Puget : ses qualités seules réapparaissent ; je ne puis rien lui comparer. Tout ce qu’on peut exiger d’un écrivain, c’est-à-dire d’un homme, c’est que la fin de la page soit conséquente avec le commencement. Le défaut de sincérité que tout homme de bonne foi trouvera à tous les livres ou à presque tous, vient de ce désir si ridicule de mettre sa pensée du moment

  1. Ici paraît pour la première fois le nom du pays où Delacroix avait sa campagne, aux environs de Paris, près de Draveil. Ce nom reparaîtra à chaque instant dans les années postérieures de son journal. Il y goûta de douces émotions de nature, si l’on en croit certaines notes de ce journal, et pourtant il écrivait au sujet du pays, en 1862 : « Champrosay est un village d’opéra-comique. On n’y voit que des élégantes ou des paysans qui ont l’air d’avoir fait leurs toilettes dans la coulisse ; la nature elle-même y semble fardée ; je suis offusqué de tous ces jardinets et de ces petites maisons arrangées par des Parisiens. Aussi, quand je m’y trouve, je me sens plus attiré par mon atelier que par les distractions du lieu. » (Corresp., t. II, p. 317.)