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XII
EUGÈNE DELACROIX.

examinant les différents épisodes amoureux dont il confie le secret à son Journal, nous ne saurions les envisager que comme des fantaisies d’un jour. Non qu’il méprisât la femme ou la traitât uniquement comme un instrument de plaisir : sa nature était trop délicate pour s’en tenir à une semblable philosophie ; disons mieux : il était trop homme du monde, dans le sens supérieur du mot, pour méconnaître le rôle discret dévolu à l’élément féminin dans de certaines limites. Mais il demeura toujours à l’abri d’une passion par un double motif, à ce qu’il nous paraît : d’abord la banalité de ses premières liaisons : « Tout cela est peu de chose, écrit-il à propos de cette Lisette qui passe pour ne plus revenir. Son souvenir, qui ne me poursuivra pas comme une passion, sera une fleur agréable sur ma route… » « Ce n’est pas de l’amour, note-t-il à propos d’une autre ; c’est un singulier chatouillement nerveux qui m’agite. Je conserverai le souvenir délicieux de ses lèvres serrées par les miennes. » Et puis, en admettant même qu’il eût rencontré un véritable amour, ou plutôt la possibilité d’un amour, il n’est pas téméraire d’affirmer qu’il aurait eu garde de s’y abandonner. « Malheureux, écrit-il après une rencontre qui sans doute l’avait plus préoccupé qu’à l’ordinaire, et si je prenais pour une femme une véritable passion ! » L’année 1824 contient une confidence bien significative sur l’innocuité de ses fantaisies amoureuses : « Quant aux séductions qui dérangent la plupart des hommes, je n’en ai jamais été bien inquiété, et aujourd’hui moins que jamais. » Ces influences extérieures tendent à disparaître complètement à mesure qu’il avance dans la vie, pour laisser place entière aux voluptés de l’imagination. À ce propos, il