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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Cadix, vendredi 18 mai. — Minuit sonne aux Franciscains. Singulière émotion dans ce pays si étrange. Ce clair de lune ; ces tours blanches aux rayons de la lune.

Il y a dans ma chambre deux gravures de Debucourt : les Visites et l’Orange ; à l’une d’elles est inscrit : Publié le 1er jour du dix-neuvième siècle ; cela me fait souvenir que j’étais déjà du monde ! Que de temps depuis ma première jeunesse !

Promené le soir ; rencontré, chez M. Carmen, la signora Maria Josefa.

M. Gros Chamelier a dîné avec nous. C’est un homme de l’extérieur le plus doux qui n’a bu que de l’eau à son dîner. Comme il refusait de fumer au dessert, il nous a dit simplement que sa modération était une affaire de régime ; il y a plusieurs années, il en fumait trois ou quatre douzaines par jour, il buvait cinquante bouteilles d’eau-de-vie, et ne comptait pas les bouteilles de vin. Il y a quelque temps, malgré son régime, il s’est laissé aller à boire de la bière, il en a bu six ou huit bouteilles en moins de rien. Cet homme a été de même pour les femmes, avec lesquelles il a fait les plus grands excès. Il y a quelque chose de pur Hoffman dans ce caractère.

Singulière organisation de cet homme, qui a joui de toutes choses et à l’extrême. Il m’a dit que la privation du cigare lui avait plus coûté que tout le reste. Il rêvait continuellement qu’il était retourné à son ancienne habitude, qu’il se reprochait beaucoup