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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.


Amant des Muses, qui voue à leur culte ton sang le plus pur, redemande à ces… divinités cet œil vif et brillant de la jeunesse, cette allégresse d’un esprit peu préoccupé. Ces chastes sœurs ont été pires que des courtisanes ; leurs perfides jouissances sont plus mensongères que la coupe de la volupté. C’est ton âme qui a énervé tes feux, tes vingt-cinq ans sans jeunesse, ton ardeur sans vigueur ; ton imagination embrasse tout, et tu n’as pas la mémoire d’un simple marchand. La vraie science du philosophe devrait consister à jouir de tout. Nous nous appliquons au contraire à disséquer et détruire tout ce qui est bon en soi, ne fût-ce qu’illusion… mais vertueuse. La nature nous donne cette vie comme un jouet à un faible enfant. Nous voulons voir comme tout cela joue ; nous brisons tout. Il nous reste entre les mains et à nos yeux ouverts trop tard et stupides, des débris stériles, des éléments qui ne décomposent rien. Le bien est si simple ! Il faut se donner tant de mal pour le détruire par des sophismes ! Et quand tout ce bien et ce beau ne seraient qu’un vernis sublime, qu’une écorce, pour nous aider à supporter le reste, qui peut nier qu’il n’existe au moins comme cela ? Singuliers hommes qui ne se laissent pas charmer par une belle peinture, parce que l’envers est un bois mangé des vers ! Tout n’est pas bien ; mais tout ne peut pas être mal, ou plutôt par cela, tout est bien.

Qui a commis une action d’égoïste sans se la reprocher ?