22 ou 23 décembre, mardi, à minuit. — Je rentre
chez moi dans des sentiments de bienveillance et de
résignation au sort. J’ai passé la soirée avec Pierret
et sa femme au coin de leur modeste feu. Nous prenons
notre parti sur notre pauvreté : et au fait, quand
je m’en plains, je suis hors de moi, hors de l’état qui
m’est propre. Il faut, pour la fortune, une espèce de
talent que je n’ai point, et quand on ne l’a point, il
en faudrait un autre encore pour suppléer à ce qui
manque.
Faisons tout avec tranquillité ; n’éprouvons d’émotions que devant les beaux ouvrages ou les belles actions… Travaillons avec calme et sans presse. Sitôt que la sueur commence à me gagner et mon sang à s’impatienter, tiens-toi en garde : la peinture lâche est la peinture d’un lâche.
— Je vais demain chez Leblond[1], le soir. J’aime
- ↑ Frédéric Leblond fut un des intimes de Delacroix. Il était assidu aux réunions d’amis en compagnie desquels le peintre se reposait du labeur de la journée. Dans une longue lettre, curieuse en ce qu’il y raconte sa dernière visite au grand artiste mourant, Frédéric Leblond vante la solidité d’affection de Delacroix ; cette lettre fut publiée dans