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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

la franchise, avec un homme qui est son ami, de s’expliquer comme le font deux hommes ensemble. Pourquoi êtes-vous venue rue de Grenelle ? C’est plus que des procédés. Ce que je hais le plus, c’est l’incertitude. Dis-moi, chère amie, que nous te sommes également chers. Et pourquoi rougir ? La femme est-elle autrement faite que nous ? Est-ce que nous nous faisons grand scrupule de faire notre cour à un objet qui nous captive momentanément ? Enfin, fais ta profession d’amour. Dis que ton cœur est assez vaste pour deux amis, car ni l’un ni l’autre n’est amant ; je ne serai pas jaloux, et je ne me regarderai pas comme coupable en te possédant. C’est de toutes les manières que je voudrais m’emparer de toi. Avec quelles délices je t’ai pressée sur mon cœur ! Toi-même, tes accents étaient vrais. Tu me dis : « Qu’il y a longtemps, cher ami, que je ne t’ai vu ainsi ! » Mais quoi, ne jamais te voir ! Ne pourrai-je, du moins, si tu es malade, aller moi-même savoir de tes nouvelles ? N’y a-t-il pas quelque moyen ?… »

Et toi, mon pauvre ami ? tu es à plaindre. On n’éprouve pas ce que tu éprouves… Je crois être plus heureux, parce que je me contente de moins… Elle ne nous voit pas coupables du tout en nous abandonnant l’un à l’autre. « Je me mets à votre discrétion », a-t-elle dit.

Ce que je désire vivement, c’est qu’il puisse cesser