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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

a quelques jours, au crayon, tout en travaillant à mon tableau de Phrosine et Melidor[1]. C’était à la suite d’une narration de jouissances éprouvées qui m’avait donné une dose passable de mauvaise humeur.

« Pourquoi ne m’avez-vous pas reçue froidement comme vous m’aimez ? Quels droits ai-je sur vous ? Pourquoi avoir demandé de m’amener ? Vous me dites de vous aller voir ! Quel partage, ô ciel ! Quelle folie ! en sortant de vous voir, je me suis flatté que vos yeux m’avaient dit vrai. Il fallait me traiter en ami : c’était bien le moins. D’ailleurs qu’ai-je demandé ? Je serais un misérable, si j’étais revenu chez vous avec l’espoir de vous aimer et d’être aimé. Je croyais avoir tout surmonté ; je comptais surtout sur votre aide. Qu’est-ce qu’ont voulu dire vos yeux ? Vous avez eu la cruauté de me donner un baiser ! Pensez-vous que je vivrai avec cet homme, si je me mets à vous aimer ?… et que je le souffrirai près de vous ? Ou par pitié, sans doute, vous lui accor-
  1. Le tableau dont parle ici Delacroix est sans doute resté inachevé, car il ne se retrouve pas dans l’œuvre du maître et ne figure pas au catalogue Robaut.
    Sous ce même titre, Prud’hon exposa au Salon de l’an VI une gravure célèbre, dont la composition dramatique peut avoir tenté l’imagination toujours en éveil de Delacroix. Phrosine et Melidor est également le titre d’un opéra-comique en trois actes, de Méhul, dont le poème fort médiocre est d’Arnault, et qui fut représenté pour la première fois en 1794. Il se peut qu’après avoir vu jouer cette pièce, Delacroix ait songé à en tirer un sujet de tableau.
    En l’absence de tout document, il est impossible de se prononcer entre ces deux hypothèses.